«Chômer par amour» à l’occasion du «Loving Day» international

Catherine Aubert Barry

Membre du comité de l'Association IG Binational

L’auteur a traduit soi-même son propre article en l’abrégeant légèrement.

L’Association IG Binational formule cinq revendications politiques pour améliorer l’accès au marché du travail des binationaux hautement qualifiés. Ces revendications ressortent de la soirée «chômer par amour» du 12 juin 2019 à Zurich.

Le grand poids de la réussite d’entrer dans le marché du travail

40’000 personnes viennent chaque année par regroupement familial en Suisse et l’Association IG Binational constate que ces personnes ont un bagage de formation et d’expérience professionnelle de plus en plus bon. Quand ces «migrant(e)s par amour» arrivent ils ne sont pas seuls, car ils rejoignent la personne aimée chez qui ils habitent et qui a un rôle-clé pour l’intégration du partenaire. De ses possibilités sociales et matérielles dépendra beaucoup. Si l’intégration professionnelle se passait mieux ces 40’000 personnes représenteraient un bon potentiel professionnel pour le marché du travail suisse.

Le facteur «genre» dans la problématique

Lors de la soirée «chômer par amour», Yvonne Riaño (prof à l’université de Neuchâtel et directrice de projet Swiss National Center of Competence in Migration Research NCCR) a présenté deux recherches démontrant que plus de femmes que d’hommes arrivent en Suisse par regroupement familial et que parmi les femmes professionnellement actives les étrangères (Amérique Latine, Proche Orient et Europe du sud-ouest) sont plus souvent munies de diplômes universitaires que les femmes actives nées en Suisse (40% contre 18%). Le taux des actifs parmi les hommes et les femmes nés à l’étranger ou en Suisse est aussi révélateur: Les hommes sont à la pointe. Même les femmes nées en Suisse ont un taux d’activité et un salaire tous deux inférieurs même à celui des hommes nés à l’étranger.
Mme Riaño a également fait une étude sur des couples binationaux et a présenté l’exemple d’un couple avec un même niveau de formation (femme venant d’un pays de l’UE) : Pendant que la carrière de l’homme s’est épanouie de façon linéaire celle de la femme a subi des interruptions dues à la naissance d’enfants et des redémarrages à zéro (= nouvelles formations) par manque d’autres possibilités.

Le monde du travail suisse a ses spécificités particulières

En 2017, Eper a mis sur pied un projet MosaiQ pour l’intégration professionnelle des migrant(e)s bien qualifié(e)s. La dirigeante de ce projet, Mme Susanne Teismann a fourni un éventail des problèmes concrets. Dans les activités professionnelles hautement qualifiées les compétences linguistiques vont de pair. Il faut donc investir temps et argent pour apprendre la langue locale. De même, la reconnaissance des diplômes étrangers représente une procédure d’envergure et coûteuse surtout pour les nombreuses professions réglementées. MosaiQ donne de précieuses informations mais ce sont les migrant(e)s qui doivent faire preuve d’initiative. Mme Teismann a confirmé le grand nombre de binationaux parmi ses client(e)s, mais jusqu’à aujourd’hui «ils sont comme restés invisibles».

Les stratégies individuelles dans la course aux obstacles

Deux hommes et deux femmes vivant chez nous entre deux et douze ans, ayant tous exercé une activité professionnelle qualifiée dans leur pays d’origine ont témoigné chacun expliquant leur propre parcours. Leurs choix oscillaient entre le besoin de vite gagner sa propre vie et la volonté de ne pas faire un travail mal qualifié et d’arriver au plus près des propres compétences en acquérant des qualifications supplémentaires. Ce dernier cas n’étant possible qu’avec un conjoint ayant les moyens de financer cela.

Les trois thèses priorisées par les 80 personnes présentes

Après avoir discuté pendant quinze minutes cinq thèses en petits groupes, les 80 personnes présentes ont priorisé ce qui leur semblait le plus pertinent:

– Plus qu’un bon diplôme valent les liens, les connaissances, voir le piston pour obtenir en Suisse un emploi équivalent aux compétences du pays d’origine. 42 voix

– Le manque de courage des entreprises refusant les postulants immigrés pour «ne rien risquer» oblige-t-il ces mêmes immigrés à redémarrer à zéro et à prouver leurs compétences en se contentant d’abord de stages? 24 voix

– Sans bonne maîtrise du dialecte suisse allemand «on détonne» ou est incapable de «bons contacts avec la clientèle». Le dialecte constitue-t-il le meilleur cache-sexe pour masquer la discrimination ? 20 voix

Les aspects individuels personnels et sociopolitiques

Nombreuses ont été les prises de paroles et les questions posées. La mortification qu’ici personne ne veut de toi et que malgré un grand engagement à apprendre la langue on n’obtient que des refus se sentait émotionnellement et constitue une hypothèque au bien-être du couple.

Les revendications de l’Association IG Binational

Il est inacceptable que l’intégration professionnelle des 40’000 personnes (en partie très bien formées) qui arrivent chaque année en Suisse « par amour » dépende en fait que du portefeuille et de la longueur du bras du partenaire local! Il faut que la main publique découvre le potentiel que constitue ces femmes et hommes.

1. Sont à promouvoir: des programmes de coaching ou d’intégration pour personnes hautement qualifiées, soit par la main publique soit par des privés et leur efficacité est à évaluer.

2. Il faut établir dans chaque canton un programme de sensibilisation, d’information et de consultation systématique dans différents secteurs de la société.

3. Il faut améliorer la protection de la discrimination. Il faut créer des bases juridiques dans le domaine de l’anti-discrimination, selon l’exemple des normes européennes.

4. Comme la reconnaissance de diplômes étrangers améliore les chances d’intégration professionnelles, la main publique doit prendre en charge les frais de reconnaissance.

5. Il est essentiel que les entrepreneurs soient mieux informés sur les procédures de reconnaissances spécifiques à leur branche des diplômes étrangers, pour qu’ils sachent mieux estimer les compétences et possibilités des candidat(e)s formés à l’étranger.

Le potentiel des réfugiés a été découvert. Combien de temps faudra-t-il jusqu’à ce que la main publique et les entreprises découvrent le potentiel professionnel des migrants binationaux et leur apportent leur soutien pour le bien de l’économie du pays?

L’auteur

Catherine Aubert Barry est depuis de longues années membre du comité de l’Association IG Binational. Elle a grandi dans une famille binationale et vit en partenariat binational. Elle est professeur de lycée à la retraite.

Loving Day

Aux Etats-Unis, chaque année on fête le 12 juin, le «Loving Day» qui commémore une victoire décisive du mouvement des droits civiques. Il doit son nom au couple Richard et Mildred Loving considéré dans les années 1950 comme «couple mixte» ne pouvant vivre marié dans son état d’origine, la Virginie, obligé à résider à Washington loin de leurs familles respectives. Mildred Loving a porté plainte et a obtenu (avec l’aide du mouvement civique) au final la sentence de la Cour Suprême des Etats-Unis du 12 juin 1967 déclarant l’interdiction de «mariages de races mixtes» dans tous les Etats du pays comme contraire à la Constitution.

Source d’image

Ruedi Lambert

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